samedi 21 février 2009

Trümmelbach, canyon de l’extrême


Participants :
- USAN : Stéphane, Manu
- Vulcains : Anne-Claire, Boris

Cela faisait un an que Stéphane et moi avions projeté de descendre cet incroyable canyon. Depuis plusieurs semaines, Stéphane scrutait la météo suisse afin de déterminer le niveau d’eau, de glace et de neige que le canyon pourrait avoir le jour de notre descente, fixée le 20 février.

Jeudi 19 : après plusieurs semaines de tension croissante, le jour J est arrivé. Anne-Claire et moi quittons Lyon jeudi soir. Direction Interlaken, en Suisse centrale. Après quatre heures de route, nous arrivons au gîte germanophone réservé par Manu, situé dans le village de Lauterbrünnen, en bas de l’Eiger. Ici, la neige atteint par endroits un mètre d’épaisseur. Le ciel, totalement dégagé, laisse voir une myriade d‘étoiles. La température extérieure est de -11°C, alors qu’il n’est que onze heures du soir …
Stéphane et Manu nous rejoignent dix minutes plus tard. Nous nous installons et discutons de la journée de demain. La neige et le froid sont bien plus importants que prévu. La marche d’approche risque d’être impraticable, et le canyon trop froid. Nous nous couchons en nous proposant d’aller faire une reconnaissance dès le lendemain matin.

Vendredi 20 : lever à 8h00. Après un copieux petit déjeuner, nous partons avec tout le matériel de descente vers Trümmelbach. De la route, Stéphane nous montre le canyon, incrusté dans la falaise. A moins de cent mètres du canyon, nous ne voyons rien qu’une sombre lézarde dans un mur. C’est à peine croyable. Quel encaissement ! Difficile d’imaginer que dans cette toute petite entaille puisse couler l’été un ruisseau dont le débit est 200 fois celui d’un canyon habituel.
Arrivés sur le site, surprise : le parking est totalement enneigé. Il nous est impossible de nous garer. Heureusement, Manu, avec son incroyable aptitude à parler n’importe quelle langue, arrive à nous dénicher un bout de place sur le parking d’une sympathique dame. Alors, nous nous habillons (en néoprène afin de rester secs à cause de la neige) et partons vers le canyon. En dix minutes, nous sommes au pied de la dernière cascade. Et là, nos pires craintes sont confirmées : le canyon est recouvert d’une épaisse couche de glace, elle-même recouverte d’une épaisse couche de neige.
Dès lors, nous devons renoncer à monter en haut du canyon. La marche d’approche, totalement enneigée étant trop exposée. Il nous reste la voie touristique. En effet, les habitants ont aménagé une parie du canyon aux touristes, avec des escaliers et des passerelles. Nous en profitons et remontons ainsi une partie du canyon. Les fenêtres sur celui-ci que nous offrent ces passerelles sont magnifiques. En-dessous de nous, tout est blanc. Le temps semble s’être arrêté dans ce canyon si paisible, et pourtant si dangereux … Parfois, on devine un filet d’eau couler sous la glace. Ce spectacle, dont la beauté ravirait le touriste le plus basé, nous laisse perplexes et inquiets. En effet, pour nous, les interrogations demeurent : la glace est-elle assez solide pour nous soutenir ? Ne risque-t-elle pas de céder sous notre poids et de nous entraîner ?
Nous poursuivons notre ascension, espérant trouver plus haut des débuts de réponse. Celle-ci nous mène jusqu’à la partie noire du canyon, où la visibilité n’est possible qu’avec des lampes : il s’agit de « l’oscuros ». De la passerelle, on ne voit pas le fond du canyon situé pourtant quelques mètres plus bas, tant il est sombre. Mais l’heure tourne et il est temps de prendre une décision. Nous sommes d’accord pour tenter de descendre les deux dernières cascades. Nous redescendons donc à la voiture pour nous équiper.
Nous enfilons chacun nos deux combinaisons néoprènes, prenons chacun notre piolet, nos crampons et notre corde. Stéphane prend le perfo et on y va.
Nous équipons sur une passerelle qui surplombe le canyon d’une quinzaine de mètres. Stéphane descend en premier, doucement. En bas, il teste la glace. Ca semble tenir. Il nous fait signe de le suivre. Manu, puis Anne-Claire descendent à leur tour, alors que je reste en haut en cas où. A ce moment, Stéphane, trop en confiance et par un pas trop lourd, brise la glace qui le porte et s’étale dans l’eau. Plus de peur que de mal : il parvient à se redresser rapidement et à remonter. Désormais, nous savons à quoi nous attendre, et devons rester vigilants.
Puis la suite se passe sans encombre, même si la descente de cascades en glace n’est pas une chose aisée. Notre progression n’est pas des plus rapide, et nous mettons deux heures pour descendre seulement deux cascades !
De retour au gîte, c’est le débriefing. Le peu que nous avons fait était si beau et si stimulant que nous voulons recommencer, mais d’un peu plus haut. Nous excluons néanmoins de faire la partie amont, en raison de l’accès jugé trop dangereux et la difficulté globale de la progression dans le canyon.

Samedi 21 : lever à 8h00. Nous rangeons les affaires (il faut vider le gîte) et partons pour Trümmelbach. Nous croisons beaucoup de skieurs. Les pauvres ! La neige est parfaite, et il fait grand beau. Mais ils ne savent pas ce qu’ils perdent : Trümmelbach leur tend les bras, et ils vont faire du ski !!
Alors rebelote. Cette fois-ci nous montons jusqu’à la dernière passerelle, qui nous mène jusqu’aux entrailles de Trümmelbach. Entre-temps nous laissons sur la rambarde une corde en fixe menant au départ de la grande cascade, au cas où … Il fait totalement noir. Seule notre ouïe perçoit quelque chose : le bruit de l’eau qui coule. Manifestement le débit est plus conséquent aujourd’hui qu’hier. On équipe sur la balustrade. Puis Stéphane descend …
Notre premier obstacle est une large vasque, dont la glace est brisée. Heureusement, grâce à notre épaisse couche de néoprène, et même si la nage est loin d’être facile, le froid n’a pas le temps de nous prendre. La deuxième cascade est juste là. Il n’y a qu’à s’équiper et descendre. Que c’est beau. On se croirait sous terre, où les galeries se passent les unes au-dessus des autres. Ici, le canyon fait un virage à 180° et repasse presque sous la cascade précédente. Tout est en glace. La chute d’eau s’est transformée en un gigantesque amas de bulles de glace. Pour descendre, il faut appliquer pesamment ses crampons mais descendre avec légèreté, afin de ne pas se retrouver pris dans la glace. Le débit n’est pas négligeable, et on en profite pour prendre une sacrée douche … froide !
La suite est un premier superbe corridor noir qui nous mène à une cascade en tube, en bonne partie bouché par la glace. Cela devient périlleux car au milieu de la descente un petit pont de neige enjambe la cascade. Si celui-ci lâche, il nous entraîne inéluctablement à l’intérieur du tube de glace dans lequel coule vivement l’eau. Il faut donc être très vigilant et passer à côté de l’axe de la cascade. C’est précisément à cet instant que nos crampons (à Stéphane puis à moi) ont décidé de nous lâcher, manquant de nous ramener dans l’axe. Heureusement, les crampons du pied droit ont tenu. Cela nous a suffi pour garder l’équilibre et terminer la descente sans danger …
Deux ressauts, puis un deuxième (et dernier) corridor nous ramènent au jour. Nous traversons encore une longue et profonde vasque pour rejoindre le sommet de la grande cascade (celle qui rejoint la corde précédemment équipée en fixe). En-dessous de nous, un raide toboggan de trente mètres de neige glisse vers une grande vasque totalement englacée. C’est féérique. Malheureusement, les amarrages sont deux mètres plus bas, complètement cachés par une épaisse couche de glace. Pendant que Stéphane pose deux goujons, Anne-Claire, trop peu couverte, et qui a pris froid décide de remonter vers la passerelle aux bloqueurs …
Stéphane, Manu et moi continuons. Arrivés en bas de la cascade, idem : plus de points. Astucieusement, Manu, avec sa broche à glace, perce une lunule à travers une grosse stalactite. Cela nous permettra de descendre le ressaut.
Quelques ressauts ou autres péripéties (dont la pose d’un point) nous conduisent peu après au passage le plus problématique que nous ayons rencontré : le pont de neige. Nous arrivons effectivement dans une vasque où nous avons pied, mais recouverte par un pont de neige de deux mètres de haut. Il tient au-dessus de la vasque par une croute de glace dont la stabilité nous paraît peu certaine. Manu, aidé par Stéphane, parvient à s’y hisser. Stéphane le suit. Mais moi, trop lourd et trop maladroit, je n’y parviens pas. J’essaie même de monter aux bloqueurs sur la corde accrochée au piolet de Manu planté dans la glace. Je ne réussis qu’à entailler la glace et me faire tomber le piolet dessus (sans gravité, heureusement). Alors Stéphane pose deux nouveaux points sur la roche. Ainsi aidé d’une pédale, de deux bloqueurs et des bras de Stéphane et Manu, je parviens péniblement à me hisser. Ouf ! Après une demi-heure dans l’eau glacée, je commençais à avoir froid … Du coup, je suis prêt à descendre la cascade. En dessous-de moi, la vue est éblouissante : un immense manteau de neige serpente à travers le méandre de la cascade. Et même si je me sens enivré par ce paysage, je n’oublie pas que je dois rester très prudent dans la descente. D’ailleurs, en-dessous de mois, la corde s’est prise dans une bouche de glace et s’est fait aspirer dedans. Je dois tirer de toutes mes forces pour l’en sortir, puis faire attention à ne pas faire comme elle … Une fois en bas, nous reconnaissons la vasque où nous avons atterris la veille. L’endroit nous est familier. Nous commençons à nous détendre un peu. La fin du canyon est proche … En une heure, nous sommes en bas. Au total, nous avons mis près de cinq heures pour descendre dix cascades, c’est-à-dire la moitié du canyon !
Il est 18h30 quand nous reprenons la route pour le village de Lauterbrünnen. Nous nous y arrêtons une dernière fois pour profiter de ces derniers moments privilégiés et nous remémorer nos aventures du week-end autour d’un chocolat chaud suisse. Même si la période est généralement la seule propice à la descente de ce canyon, il est évident que les conditions n’étaient pas réunies pour descendre l’intégralité du parcours ce jour-là. Ainsi, tout sentiment d’amertume ou de déception de ne pas l’avoir fait en entier, laisse place, au vu des péripéties rencontrées, à de la fierté d’avoir été prudents et raisonnables dans nos objectifs. Nous sommes donc très heureux et très chanceux d’avoir pu découvrir ce géant et en apercevoir sa grandeur et sa profondeur.
Il est alors l’heure de nous quitter. Nous rentrons, chacun de notre côté, en nous jurant de revenir très prochainement pour descendre le canyon en entier lorsque les conditions le permettront …

Boris


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